Conflits interpersonnels : affaire privée, vraiment ?

Un·e manager doit prendre en compte un conflit privé qui affecte deux membres de son équipe s'il·elle en a connaissance. C'est une illusion dangereuse de croire à la séparation entre privé et professionnel dans un tel cas.

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Film : La Guerre des Rose de Danny de Vito, avec Kathleen Turner et Michael Douglas

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Deux membres de votre équipe ont des divergences dans le cadre privé ce qui provoquent des difficultés de collaboration au sein de l’entreprise. Si les relations s’enveniment et dégénèrent, vous pourriez être responsable comme employeur si aucun processus de gestion de conflits n’existe au sein de votre structure. Oubliez l’argument «  c’est une affaire privée », si elle implique vos collaborateurs·trices, vous devez gérer la tension selon votre obligation de protection (Art. 328 CO).

Un conflit débute souvent par un malentendu qui malheureusement n’est pas clarifié par la personne qui se sent blessée. Il s’en suit un crescendo de colère qui peu à peu rend impossible une saine communication entre les protagonistes et perturbe les autres membres de l’équipe, otages des deux parties qui les obligent à choisir un camp. Pour éviter un scénario du style de celui de « La guerre des Rose », dans lequel les parties impliquées enchaînent à tour de rôle les coups bas pour nuire à l’autre, quelques bonnes pratiques ont fait leur preuve:

1. Être authentique : dire ce que l’on ressent

Un conflit n’est pas à diaboliser ou à éviter à tout prix. Le psychologue du travail Yves Clot encourage même une coopération conflictuelle qu’il définit par un dialogue nerveux autour des processus et de la qualité du produit. Il faut garder à l’esprit qu’un conflit provient d’une perception de la réalité qui diffère. Pour qu’il y ait conflit, une des parties doit se sentir blessée par la position de l’autre. C’est là qu’intervient l’authenticité. Dans le cas où les propos d’une personne nous ont heurtés, il est important d’exprimer ce qui est ressenti réellement et d’éviter de projeter des intentions à son interlocuteur. Le psychologue humaniste Carl Rogers nous rappelle que si l’on veut être honnête, on ne peut parler que de soi-même, de ce qu’on ressent dans une situation. Pourtant, nous jugeons l’attitude de l’autre, la plupart du temps dans les situations de conflits. Ce n’est donc pas la tension qui est problématique mais la capacité à se gérer dans le conflit pour le désamorcer.

2. Former vos responsables : la gestion de conflit fait partie de leur rôle

Le rôle de cadre est une posture délicate, elle implique un devoir de fidélité à l’égard de l’entreprise et aussi la protection des personnes qui dépendent de lui. Par son comportement, il·elle doit montrer l’exemple , gérer ses émotions, faire preuve d’écoute active et ainsi aider les personnes en conflit à clarifier une divergence. En donnant régulièrement des feed-back et en allant aussi les chercher, il·elle diffuse une culture d’authenticité. Capable de déceler les signaux faibles qui indiquent des tensions et protéger celles et ceux qui subissent des violences comme le harcèlement ou le harcèlement sexuel, il·elle ne peut prendre le rôle de confident·e et garantir la confidentialité dans des cas graves car cela le·la mettrait en porte à faux avec son devoir de diligence à l’égard de son employeur. Il·elle doit clairement expliquer ce positionnement et indiquer les autres voies possibles : médiation et/ou personne de confiance par exemple.

Les groupes qui ont acquis une capacité à gérer les conflits ont acquis une capacité liée à l’action collective, irréductible à leur individualité. C’est cette capacité qui leur permettra de mieux s’organiser, définir leurs actions et disposer d’une marge de manœuvre plus grande que pour d’autres groupes qui pour d’autres raisons n’ont pu développer une telle capacité. M. Crozier. Sociologue des organisations.


3. savoir poser des limites & faire preuve d’ouverture

L’authenticité dans l’expression de ce qui est vécu, la capacité à comprendre la position de l’autre en écoutant vraiment ce qu’il·elle est en train de dire sont des compétences qui s’entraînent et se vivent au quotidien. Chacun et chacune devrait pouvoir exprimer son besoin dans une situation qui lui pose problème et chercher avec l’autre une solution commune. Il s’agit de distinguer ce avec quoi je peux vivre même si ce n’est pas totalement ma vision et ce qui est non négociable et m’empêcherait de poursuivre une collaboration sereine. Là encore, le·la responsable se doit de montrer l’exemple en intégrant des rituelles dans les séances qui invitent les gens à se centrer sur leurs émotions et à partager ce qui est utile pour le bon fonctionnement du groupe, dans un cadre sécurisé. Ajoutons un argument d’autorité à cela : les neurosciences ont montré qu’on décide mieux si on est capable d’identifier ainsi que de réguler ses émotions.

 
Si on régule ses émotions, nous développons de meilleures capacités cognitives

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4. Communiquer le processus de gestion de conflits : attention à la confusion des rôles

Comme indiqué plus haut, un·e manager ne peut garantir de conserver une confidence qui lui ferait craindre un risque pour un collaborateur ou une collaboratrice. Il devra réagir et prendre des mesures. Cela doit être clair pour la personne qui se confie. C’est pour cela que les entreprises doivent prévoir un processus de gestion de conflit qui donne la possibilité de se confier à une personne de confiance hors hiérarchie. Dans le même ordre idée, si un conflit grave oppose  un·e chef·fe à un collaborateur·trice, la ou le responsable RH ne pourra jouer un rôle de médiation car il y a conflits d’intérêts. Dans tous les cas, s’il existe une suspicion de violence à l’égard d’une personne et que les faits ne sont pas avérés, une enquête interne devra être commandée à une instance neutre ; si les faits sont avérés, la victime devra être protégée et des sanctions devront être prises à l’égard de la personne qui commet les violences. Ces voies d’action doivent être connues de l’ensemble du personnel.

Ce n’est donc pas le conflit qu’il faut bannir mais l’inaction face à une situation délicate, y compris si elle émane à l’origine d’un différent dans la sphère privée. Une dispute saine pour améliorer des processus de travail, dans le cadre de changement pourrait même être encouragée à condition d’avoir les outils et l’état d’esprit pour les gérer. Dans un environnement turbulent, les entreprises qui promeuvent l’authenticité dans les relation, la clarté des rôles et l’engagement courageux auront de meilleures chances de succès.