Silence !

Le silence serait-il précieux alors que nous subissons constamment des injonctions à le rompre

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Récemment, je retrouvais un ami pour déjeuner et me réjouissais d’enfin pouvoir re-profiter d’une rencontre conviviale dans un lieu public. Quelque chose me gênait pourtant au moment où nous commencions à échanger joyeusement sur ce plaisir retrouvé : l’omniprésence de la musique .

J’ai pu remarquer que mon ami avait éprouvé le même inconfort puisqu’il demanda avec courtoisie s’il était possible de baisser le son. Tout à nos retrouvailles, nous aspirions à nous écouter sans devoir tendre nos oreilles en grimaçant dans le but de filtrer la musique. Comme me le faisait remarquer mon ami, écouter de la musique dans un restaurant c’est manquer de respect pour l’artiste, un peu comme lire un journal au théâtre !

 
Tourner sept fois la langue dans sa bouche avant de parler.

Tourner sept fois la langue dans sa bouche avant de parler.

 

D’où nous vient cette envie de silence ? Serait-ce un besoin irrépressible d’être écouté tout simplement ? Se rappelle à mon esprit une étude récente en neurologie qui démontre que nous sommes prêt·e·s à perdre de l’argent pour pouvoir parler de nous-mêmes. Le plaisir est d’autant plus grand si nous sommes écoutés .

Dans les écoles allemandes, une note de participation existe, ce qui pousse les élèves à lever la main et à réagir constamment y compris pour dire des banalités, ce qui désavantage le taiseux qui a besoin d’un brin de réflexion avant d’occuper l’espace. Dans l’entreprise, on donne des cours de « storytelling », l’art de raconter des histoires. En politique, il faut communiquer sur ses actions avant même de les avoir réalisées si tant est qu’on les réalise une fois.

Comment donc, dans ce monde bruyant, faire de la place au silence ? Comment redorer l’image de celui-ci face au clinquant de l’art oratoire ? Et si c’était en prenant moins souvent la parole, tout simplement. Le silence ainsi retrouvé pourrait peut-être permettre une meilleure qualité de débat, en favorisant l’émergence d’idées plus variées plutôt qu’un discours dominé par celles et ceux qui parlent le plus souvent.

Dans les décisions par consentement par exemple, les protagonistes s’expriment à tour de rôle, ce qui permet une régulation. Consentement signifie, si je peux vivre avec la proposition, je l’accepte même si elle ne contient pas tout ce que j’y aurais mis et même si j’aurais fait différemment. L’objection raisonnable n’intervient que si quelque chose de risqué est identifié. L’écoute active de son ressenti et la capacité à comprendre la position de l’autre permet d’éviter une partie du bruit provoqué par les luttes d’ego.

Je ne lis pas le journal au théâtre mais je lis des articles sur le théâtre. Le journaliste Stéphane Gobbo évoquait la beauté du silence dans Le Temps du 12 juin 2021. Il nous invitait à écouter les silences ; dans un film, dans une œuvre musicale, un spectacle, ils sont riches de sens. Dans la vie aussi, d’ailleurs.

Au moment où les premiers plats arrivent, merguez pour mon ami, feuilles de vigne pour moi-même, il me raconte qu’au temps des Juke-box dans les bistrots, sa mère demandait malicieusement si elle pouvait y mettre une pièce pour se payer du silence. Pas de doute, le silence est d’or, la parole est d’argent.