Vous avez dit "écoute active" ?
L’écoute active connaît un certain succès dans les entreprises aujourd’hui. Elle est parfois pratiquée mécaniquement, sans incarnation. Au-delà des formules toutes faites, j’essaie de m’approcher de son message central issu des recherches et expériences du psychologue humaniste Carl R. Rogers, fondateur de l’approche centrée sur la personne.
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Au moment où je débute cet article sur la terrasse du Pointu à Lausanne, un monsieur d’un certain âge m’aborde en me disant que ce n’est pas bien de laisser son vélo comme ça devant le café et qu’il y a des parkings ailleurs. Me tirant de ma réflexion, je l’écoute et essaie de lui dire que ce n’est pas mon vélo. Cela ne l’empêche pas de continuer sa logorrhée dont je vous épargne la teneur. Voyant que rien ne l’arrête, je prends du recul pour essayer de comprendre ce qu’il veut me dire derrière ses paroles. Je sens que ce qu’il souhaite avant tout, c’est avoir un contact avec quelqu’un qui l’écoute. Malgré les idées qu’il me déverse et que je ne partage vraiment pas, je crois que je parviens à ne pas le juger, à essayer de me mettre dans ses baskets « comme si » j’y étais, mais en restant moi-même. Cela me permet de ne pas m’énerver et au bout d’un moment, je lui dis simplement que je le comprends, mais qu’il faut que je travaille. Il sourit alors et me dit merci. J’ai presque l’impression qu’il est apaisé.
Se centrer sur L’autre
Ce que j’ai pratiqué face à cet inconnu s’appelle l’écoute active. Que signifie ce terme ? C’est une expression issue des travaux de Carl R. Rogers, un psychologue américain qui est à l’origine de l’approche centrée sur la personne. L’écoute active implique de pouvoir réunir trois conditions : se montrer authentique, poser un regard positif inconditionnel sur son interlocuteur·rice, être capable d’empathie. Si je reprends l’exemple du monsieur en colère contre le vélo mal parqué, que s’est-il passé chez moi? Tout d’abord, j’ai observé ce qui se produisait en moi. Je ressentais de l’agacement, une certaine répulsion face aux propos. J’ai donc fait preuve d’authenticité envers moi-même appelée aussi congruence, à savoir qu’il y avait une distance nulle entre mon ressenti et la conscience que j’en avais ; ensuite, je suis allée chez mon interlocuteur comme si j’y étais, mais sans jamais perdre de vue que ce n’est pas moi tout en essayant de comprendre son cadre de référence, faisant ainsi preuve d’empathie. Avant tout cela, c’est un non-jugement à l’égard de mon interlocuteur qui m’a permis de l’accepter comme digne de respect. Partant de là, j’ai pu comprendre ce qu’il voulait me dire au-delà des mots et des idées prononcées : j’ai senti sa solitude et sa tristesse. Au stade du lien que nous avons partagé, je n’ai pas pu aller au-delà, mais cela a déjà suffi à rendre l’échange plus apaisé pour lui et pour moi-même.
Comment pratiquer l’Écoute active
Se mettre en état d’écoute active implique de se centrer sur l’autre et donc d’observer aussi le paraverbal (la tonalité de la voix, la rapidité du phrasé, etc.), le non verbal (gestes, postures) en plus de ses paroles pour comprendre ce qu’il·elle veut vraiment dire et ne pas se laisse polluer par ses propres préjugés. Ce n’est pas se concentrer uniquement sur le contenu, mais aussi sur ce qui n’est pas exprimé. Écouter ainsi c’est une démarche volontaire qui entraîne une posture du corps en éveil, une certaine attention et aussi des silences pour permettre à l’autre de développer/clarifier ses idées. L’homme de théâtre Valère Novarina nous dit que « la parole nous a été donnée non pour parler, mais pour entendre ». J’adhère à cette vision qui devrait nous faire user de la parole pour vraiment comprendre le message de l’autre sans l’interpréter avec nos projections.
« J’écoute de manière aussi attentive, exacte et sensible que possible chaque individu qui s’exprime. Que les propos soient superficiels ou importants, j’écoute. À mes yeux, l’individu qui parle a de la valeur et vaut la peine qu’on le comprenne ; dès lors il a de la valeur pour avoir exprimé quelque chose. » (Carl R. Rogers)
L’USAGE DE LA PAROLE EN ÉCOUTE ACTIVE.
Une des manières de vérifier la compréhension du message consiste à reformuler ce qui a été dit. Il s’agit de paraphraser le message, mais en montrant sa compréhension. Nous pourrions dire : « En d’autres termes… » ou « Vous voulez dire que… ». Lorsqu’une personne a un grand débit de paroles, comme le monsieur en colère contre le vélo mal parqué, nous pourrions à un moment donné tenter de résumer son propos en relevant les éléments saillants : « si je vous comprends bien, il y a plusieurs choses qui vous dérangent, d’abord… ensuite ». Si notre interlocuteur·rice est très négatif, nous pourrions user du recadrage qui est une reformulation qui met la lumière sur un autre versant, moins dramatique : « j’entends bien que tu penses avoir raté ton cours, c’est d’ailleurs ce que vivent souvent les personnes exigeantes avec elles-mêmes, mais tu as aussi reçu des feedbacks très positifs. » Enfin, la clarification permet de faire émerger le sens caché du message. Là, il faut éviter d’interpréter, de faire de la pseudo-psychologie. Il s’agit de formuler une proposition avec précaution : « quand tu dis que tu en as marre, je crois comprendre de mon côté…….., c’est bien cela ? »
VERS UN IDÉAL DÉMOCRATIQUE.
Pratiquer l’écoute active garantit une sorte de délibération entre l’écoutant et l’écouté. Les reflets de celui·le qui écoute aident l’écouté·e à clarifier et l’invitent à réagir si le message n’est pas compris comme il·elle le souhaiterait. Elle permet aussi d’activer les ressources de la personne écoutée et de renforcer ainsi son autonomie. Nous croyons souvent à tort que ce que l’autre attend de nous, ce sont des conseils alors qu’une écoute attentive lui permet de trouver ses propres solutions ce qui est beaucoup plus durable. Dans le cas du monsieur en colère contre le vélo mal parqué, j’ai dit peu de choses, mais je lui ai offert un silence attentif qui a validé son humanité.