Sprezzatura !

La sprezzatura c'est la nonchalance maîtrisée  qui caractérise un style vestimentaire apparemment négligé et je dis bien apparamment. Mon propos va détourner ce terme pour en faire une attitude préventive face aux injonctions de perfection et de compétition en entreprise.

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Sprezzatura, un style apparemment négligé mais mûrement travaillé et très au clair des codes de la mode.

 


Il m’arrive de conseiller des personnes (essentiellement des managers) qui vont prendre une nouvelle fonction et qui ne veulent pas renouveler des expériences qu’elles évaluent comme limitantes, comme par exemple une tendance au perfectionnisme, ou alors qui ne veulent plus se laisser envahir par certaines émotions entêtantes, qui surviennent quand elles sont confrontées à des attitudes qui ne correspondent pas à leurs valeurs. Ces personnes sont en général investies dans leur travail, prennent très à cœur leurs responsabilités et détestent les jeux de pouvoir. Entières, elles disent ce qu’elles pensent, font preuve de transparence dans tous les cas, même s’il s’agit de dire à un supérieur ses quatre vérités. Elles pensent que sans cela, elles tricheraient ou manqueraient d’honnêteté. Une de leur caractéristique est d’être souvent des High Achiever, c’est-à-dire des personnes performantes, qui génèrent de grands résultats et peuvent se montrer intolérantes à l’égard des personnes qui n’ont pas le même rendement.

Comment les aider à trouver des pistes d’amélioration pour mieux vivre avec leurs collègues en s’inspirant de la sprezzatura, cet art du négligé vestimentaire qui permet d’affirmer une personnalité tout en respectant les codes de la mode ?

1. Détaché mais pas trop

J’ai beaucoup appris en observant des personnes qui avaient des rôles de direction autour de moi dans les entreprises où j’ai évolué, et en interrogeant des proches qui sont eux-mêmes manager. Je me souviens d’un collègue dont le style était à contre-courant de ce qu’attendait la direction très exigeante et élitiste. Il avait lui-même travaillé chez des consultants financiers aux dents longues et s’était fixé ses propres limites, afin de préserver sa santé. Il maîtrisait son sujet, dont il était un peu le seul spécialiste, ce qui lui donnait pas mal d’avantages. Il avait construit une solide relation avec son adjoint, ce qui lui permettait de prendre ses vacances en toute sérénité. Discret, il ne parlait pas plus que quand il le fallait, dans un milieu où les joutes oratoires n’étaient pas rares. Son expertise lui autorisait une certaine nonchalance, car il lui suffisait d’amener les solutions quand la situation paraissait désespérée. Pour moi sa façon d’agir incarne la sprezzatura en entreprise : jouer avec les codes mais rester dans les cordes pour l’essentiel, inspirer confiance sans exagérer son importance et éviter les excès de zèle. Tout cela était parfaitement bien réfléchi, il savait exactement où se trouvait le pouvoir et comment en jouer. Il n’éprouvait pas le besoin d’être le meilleur. Il ne faisait pas plus que ce qui lui était demandé mais il le faisait très bien. Et c’est cette attitude sprezzatura qui lui a permis de préserver une certaine liberté et de conserver sa sérénité contrairement à d’autres qui se sont épuisés.

2. allier frivolité et profondeur

Comment donc adopter la sprezzatura ? Je suggère d’observer son environnement de travail pour en saisir les codes car la sprezzatura ne peut se faire au détriment de ces règles implicites. Par exemple, si vous travaillez dans un environnement international qui exigent des séances dans la soirée, il sera mal vu de ne pas y assister. Il faut prévoir d’aménager ses horaires afin de pouvoir récupérer à d’autres moments. Parfois, quand on s’est trop adapté, on prend l’extrême opposé en faisant preuve de rigidité, en refusant de jouer le jeu et là on passe pour des divas caractérielles.

Pour être superficiel, il faut être profond. Gianni Versace.

Je recommande l’observation du rythme de travail de ses collègues sans vouloir en faire plus. Souvent, ce sont nos propres exigences et pas celles de l’entreprise qui nous poussent aux excès parce qu’on s’estime meilleur que les autres et qu’on veut le montrer. Dans certaines situations, il faut pouvoir accélérer et montrer sa réactivité mais on n’est pas obligé d’être toujours en ébullition. C’est pourquoi, il vaut mieux être dans une fonction où l’on maîtrise son sujet, ce qui permet d’adapter son rythme. Un poste de manager va demander du sens politique et la compétence à gérer ce que les autres ne veulent pas faire comme par exemple les conflits entre personnes, des choix face à une situation économique difficile, c’est pourquoi il faut dégager du temps juste pour réfléchir et prendre du recul. De plus, il sera attendu de vous d’être capable de vous maîtriser dans toutes les situations, de réguler vos émotions, les pétages de plomb sont moyennement appréciés. Plus vous aurez besoin d’être reconnu dans la fonction, plus vous prendrez le risque de ne pas l’être. Vous en ferez trop et c’est à ce moment que vous perdrez la sprezzatura. Vouloir briller et voler trop près du soleil nous expose à la brûlure. Plus on monte dans la hiérarchie, plus on est visible et aussi susceptible de passer de mode avec les restructurations.

 

A trop vouloir briller, on se brûle les ailes.

 

Gianni Versace disait Vous décidez qui vous êtes. Il exprimait ainsi que le choix des vêtements peut définir qui nous sommes. Virginia Woolf constatait qu’ils [les vêtements] changent notre vision du monde et le point de vue du monde sur nous. Nous pouvons considérer que le soin que nous apportons à nous vêtir est une chose bien futile et aussi qu’il contribue à faire affluer à l’extérieur quelque chose de plus profond. Choisir la sprezzatura comme un comportement semblable au style vestimentaire peut me semble-t-il permettre une saine implication dans l’entreprise tout en conservant une vivacité frivole et protectrice face au risque de se donner corps et âme au travail.